Смирнова-Россет Александра Осиповна
Extraits des carnets le souvenirs d"Alexandrine Smirnoff née de Rosset i 1825 à 1845

Lib.ru/Классика: [Регистрация] [Найти] [Рейтинги] [Обсуждения] [Новинки] [Обзоры] [Помощь]
Скачать FB2

 Ваша оценка:


Extraits des carnets le souvenirs d'Alexandrine Smirnoff née de Rosset i 1825 à 1845 *).

   *) Печатаемъ эти документы, въ виду ихъ историко-литературной важности, во французскомъ оригиналѣ въ томъ видѣ, въ какомъ онъ доставленъ намъ О. Н. Смирновой -- съ соблюденіемъ всѣхъ его стилистическихъ и орфографическихъ особенностей. Ред.
   
   
   "Son souvenir nous reste, pur et inaccéssible à la colomnie".
   Изъ письма А. О. Смирновой къ кн. П. А. Вяземскому, мартъ 1837 г.
   "La main qui tenait au bout d'un pistolet la vie de notre grand poète, était dirigée par un cerveau absolument incapable d'apprécier celui qu'elle visait.
   Cette main ne trembla pas devant la Majesté du génie dont elle fit taire la voix.
   Признайтесь, дорогая Александра Осиповна, что правъ нашъ солдатъ, что пуля большая дура!"
   Февр. 1837 г. изъ неизданнаго письма о смерти Пушкина.
   Passé une soirée amusante chez les Ivaramzine où il у avait L'Arzamas (Арзамазъ). J'ai dit à Joukowsky que le salon de Катерина Андреевна est l'arche de L'Arzamas, a quoi il a répondu: "Je représente le boeuf, Kryloff -- l'éléphant, le plus sage des animaux, Pouschkine le grillon et vous êtes le colibri de L'Arzamas. Il у avait les deux Glinka le poète und der Musikus! Jean Miatleff qui est très drôle; il a entendu ce que Joukoivsky me disait et lui à lancé: "Le boeuf, dites plutôt le hanneton-jouk, même vous voltigez autour du colibri". Jouk a riposté: "c'est le colibri qui m'appelle le boeuf, elle pretend, que quand je ris je mûgis!" J'ai dit mon mot: "Grillon est un nom incorrect pour Pouschkine. il devrait être la cigale qui chante". Miatleff m'a répondu: "Très vrai, et d'autant plus qu'il ne sera jamais la fourmi. Mais cette cigale chante l'année ronde, ce qui est tant mieux pour le Parnasse russe". Le vieux Polética y était; il me plaît, il a quelque chose de sec et de fin à la fois, et l'abbé Fétu {C'est Wiasemsky. "L'abbé Fétu" de m-me de Sévigné avnit des dragons -- des humeurs noires; Wiasemsky était hypocondre, de là le sobriquet.} sans ses dragons, très aimable. Pouschkine, mon frère Clément, André Karamzine et Pierre Mestchersky s'amusaient à taquiner Sophie, parcequ'on l'avait trouvée pleurant sur un roman anglais, avant le diner; Sophie s'est fâchée et Catherine {Catherine Mestchersky était du 2-me lit, Sophie du i-er lit, et plus âgée de beaucoup que ses frères André, Alexandre, Woldemar. La fille cadette Lise et le fils cadet étaient encore des enfants alors, et Alexandre comme mes oncles encore en éducation; seul André et l'ainé de mes oncles étaient sortis des pages alors.} lui a dit enfin: "Faites comme moi, quand ils éssaient de me taquiner, je lève les épaulés. Ils n'osent plus avec moi, c'est peine perdue", à quoi Mestchersky a répondu: "qui sait, j'oserai peut-être?" La seule réponse de Catherine a été un regard majestueux! Pouschkine était très en train, il racontait ses Wanderungen chez les Tziganes en Moldavie; c'est dans un Tabor qu'il a entendu raconter le meurtre d'une femme, qu'il a mis dans le poëme; il a trouvé son Aleko et sa Zemphira sous une tente. Il nous a raconté une histoire, qu'un grée lui a conté à Kicheneff, il veut l'écrire et l'appeler Kirdjali. Catherine Kaéwsky lui a raconté la légende de la Fontaine de BaclitcheSéraï. Elle a appelé la fontaine du Palais des Khans "la fontaine des larmes"; Pouschkine disait, qu'elle a une imagination si poétique. Maria était une Patozka, enlevée par ce Khan en effet. Il disait en suite qu'il y a beaucoup d'histoires vraies, comme celle des frères brigands, sur le Don, le Volga, il en a inscrit bien d'autres; il n'a rien inventé, et l'officier du prisonnier du Caucase a existé; puis il s'est tourné vers Sophie et lui a dit: "Je vous ai taquinée, mais vous avez raison d'aimer les romans anglais, ils sont si véridiques, les personnages de Walter Scott sont si vivants. Seulement ne pleurez pas trop sur leurs malheurs, car ils sont tous morts ou consolés!" Il s'est tourné vers moi: "Pleurez-vous quand on chante Tchernaja Schall?" J'ai répondu: "Jamais, c'est une romance et je la trouve insipide! Je préféré de beaucoup Talisman et Fontan Lioubvy (фонтанъ любви), d'ailleurs les vers sont plus beaux, les vers de Tchernaja Schall (Черная шаль) ne chantent pas". Pouschkine a salué: "Très bien dit, les vers ne chantent pas et ils doivent chanter, même sans musique. Cela vous fait honneur, vous avez du goût, de l'oreille; à l'avenir je vous consulterai". J'ai ri de son ton et je lui ai dit: "Comme Molière consultait sa Servante Laforêt?"
   "Vous serez notre Laforêt slave" a grogué Wiasemskoy.
   Pouschkine a recommencé: "Je vous assure que le Châle Noir est navrant; si vous l'aviez entendu, comme moi, chanté dans une Kortclmia (Корчма) Juive en Moldavie, vous auriez tous sangloté. "Sangloté, dit Cathrine, à quel propos?" Pierre Metchersky a répondu: "C'est l'effet d'une auberge Juive en Moldavie, on у sent Tail et l'oignon, cela fait pleurer". Pouschkine a répondu avec dignité: "Du tout, j'ai mis en vers la complainte sans oignon et sans ail et j'ai envie de la chanter en Moldave. Du reste à Odessa j'ai vu un grec qui pleurait assis sur la plage, et chantait aussi. J'ai demandé pourquoi il pleurait; je me suis attendri, je suis hétériste. 11 m'a répondu: "Ce que je chante me fait pleurer; c'est un petit oiseau, qui est assis sur une branche et il chante, il chante, puis il s'envole! En russe ce n'est pas touchant, en grèc cela fait pleurer".
   "Voulez-vous que je vous chante en Moldave? Mais pour cela il mefaut une guitare et des châles noirs". Sophie lui dit: "qu'à cela ne tienne, notre paysan de cuisine joue de la guitare, et les femmes de chambre vous donneront des châles".
   Pouschkine, Clément et André se sont expédiés chez les femmes, Louka {Le Caleb Balderstone des Karamzine. Ce Louka (Лука) était un type de vieux serviteur, dévoué et grognon, ayant vu naître la fille ainée, Sophie, car il a servi l'historien du temps de son premier mariage. 11 contait ses souvenirs aux amis de la maison et traitait m-elle Sophie et les cadets comme des enfants. Il disait: "Oui, c'était du temps où nous écrivions l'histoire de Russie".-- "C'était le temps où les franèais ont brûlé notre bibliothèque de Moscou".-- "C'était moi qui portais nos épreuves dans l'imprimerie" etc.-- Entre lui et l'historien tout était nous pour Louka. Je me souviens de sa figure parcheminée, dans mon enfance, car il a vécu très âgé.} a apporté la guitare, Miatleff a été se joindre à eux, enchanté de plaisanter; on s'est enfermé dans la salle à manger et Glinka a été appelé pour faire le guitariste.
   Enfin on nous a appelés. Clément et Pouschkine déguisés en Moldaves de fantaisie, avec des figures tragiques, tenaient un châle noir et roulaient des yeux en prenant des poses sentimentales. Pouschkine avait sifflé l'air et Glinka a trouvé l'accompagnement. Aussitôt que nous sommes entrés Pouschkine a commencé à chanter en nasillant comme les Moldaves, Clément faisait les gestes dramatiques, ils faisaient semblant de pleurer et d'essuyer les yeux avec le châle noir. Le sérieux imperturbable, avec lequel ils nous donnaient ce beau concert, nous a fait mourir de rire. Le succès les a mis en train et ils ont décidé, qu'on ferait des tableaux vivants; Constantin Boulgakoff est arrivé et a déclaré que c'est une idée géniale.
   On est allé chez les femmes pour chercher des écharpes, des pelisses; André a apporté des robes de chambre, et même on a déniché un vieux turban rouge de М-me Karamzine; quand ce tableau était arrangé on nous a appelé. Miatleff faisait le Petrouchka; il nous a fait un discours: "Voici Khan Ghireï, un homme très sérieux, comme Iwan Grosnoi, son histoire a été écrite par un jeune homme de talent, qui apleuré à Bahtchi-Seraï et depuis ce jour l'eau de la fontaine est salée". Après cela il a lu la première strophe. Pouschkine était Khan Ghireï, coiffé du turban de М-me Karamzine, enveloppé de châles, fumant une pipe, assis par terre. André, Constantin Boulgakoff, Clément, en robes de chambre, modestement rangés autour, les bras croisés sur la poitrine comme il convient à une cour d'esclaves. Nous avons applaudi. Miatleff a répété alors comme un vrai Petrouschka: {Le refrain de Guignol chaque nouveau tableau: Лидеръ Манеръ, другой каналеръ.} ander maner, drougoï kavaler, ce qui voulait dire: allez vous en. Le second tableau était encore mieux, Miatleff nous a annoncé que c'est un rébus. Ils ont placé le presse-papier de Karamzine la statue de Pierre le Grand, sur un socle. Pousclikine dans les habits du paysan propriétaire de la guitare {Habits du propriétaire de la guitare.} Clément dans un costume de fantaisie, soi-disant polonais, se tenaient devant le socle, enveloppés de l'Almaviva de Pousclikine. L'orchestre c. v. d. Glinka a joué sur la guitare un trépaka et une Mazourka; le corps de ballet: André, Constantin Boulgakoff et Miatleff ont exécuté des pas de solo et puis ils ont crié: "Devinez?"
   Joukowsky m'avait raconté l'episode bien avant et j'ai répondu:
   "Le rébus c'est Pouschkine et Miézkeivicz devant la statue de Pierre la Grand.
   Pouschkine a répondu: "Unis par la poésie comme Paul et Virginie sous la même feuille de palmier. Les soeurs rivales qui seront reconciliées un jour; du moins je l'espère". Le dernier tableau étaient les Tzigany, mais ils n'ont pas voulu de Mestchersky {Le P-ce Pierre Mestchrsky marié à Catherine Karamzine était le meilleur des hommes. Sa femme très caustique était pétrie d'esprit. Je citerai sa lettre au sujet de la mort Pouschkine.} trop blond. Ou a consulté Sophie et Catherine très longuement en secret; enfin on s'est décidé et on est venu me prier de poser aussi. Катерина Андреевна a dit que cela ne se pouvait pas, que je serais seule avec des jeunes gens. Pousclikine a dit qu'il y a un chaperon, qu'il irait chercher la fidèle Fiona {Fiona (Фіона) était la fidèle servante de m-elle Sophie Karamzine.} de Sophie, qui serait la vieille Tzigane. Alors М-me Karamzine a consenti. Sophie a drapé une écharpe rose sur ma robe blanche, m'a mis un collier de corail, et on a trouvé un tablier brodé dans un tiroir de Catherine; avec un peu d'imagination cela pouvait être Zemphira. Clément était Aléko; André, Pouschkine, Constantin B. les jeunes Tziganes, Miatleff le vieux, et Glinka le musicien; il a chanté un air des bohémiens de Moscou, accompagné de guitare. Fiona en vieille sorcière a été très applaudie; elle a dit la bonne aventure à Aléko et à Pouschkine; succès lou, et Pouschkine, qui s'amusait comme un enfant, a baisé la main à Катерина Андреевна pour la remercier d'avoir encouragé les beaux arts en famille! Nous étions à peine rentrés au salon, qu'on a annoncé le C-te Fuguelmont. Катерина Андреевна a dit: "C'est heureux qu'il n'ait pas trouvé ma salle à manger transformée en balagane, il nous aurait pris pour des foux, moi comme les autres, d'autant plus que les Swiatky sont finis".
   Hier Pouschkine m'a fait une visite et m'a raconté qu'il vient d'echapper à une tentation infernale. Il a accompagné un ami à Cronstaclt, et il a en une envie folle de se cacher dans une cabine et de ne paraitre qu'en pleine mer. Mais il a résisté à ce désir violent d'aller à l'étranger sans passeport. Il est très original et très bon enfant. Modêne a tort de dire qu'il est malveillant et qu'il a une langue à deux tranchants. Il est moqueur, mais sans aucune méchanceté, il est malicieux et spirituel. 11 m'a demandé. "Quelle opinion avez vous de moi?" J'ai répondu: "Très bonne, car vous êtes tout simplement très bon. On m'a prévenu contre vous; on m'a dit que vous êtes toujours prêt à mordre les gens et je ne suis pas de cet avis. Vous êtes pétri d'esprit, de talent, enfin vous êtes tout ce que Joukowski m'a dit de vous -- un phénix!" Il est parti d'un éclat de rire homérique et puis il m'a dit: "Je vous remercie de votre bonne opinion; je ne suis pas méchant, ni malveillant, ni traitre, ni menteur; je puis emporté, mais je n'ai ni rancune, ni haine, ni envie; je suis sincère et je sais aimer mes amis; je leur suis fidèle. Mais j'ai une langue, qui pique.

-----

   Nous allons dans quatre jours à Peterhof. On sera en l'air du matin au soir, promenades, le camp, les retraites (militaires), l'equitation, les promenades sur le golfe. J'aime mieux Tzarskoë, on у est plus tranquille. Il y a les Karamzine, et Pouschkine у vient, même à pied de Pétersbourg {Très grand marcheur, Pouschkine fesait ces 30 kilomètres facilement au pas accéléré.}, en skorohod (скороходъ).
   L'Impératrice m'a dit que je logerai au cottage toujours, et l'Empereur m'a dit: "on vous reveillera le matin dès l'aube". L'Impératrice lui a répondu: "Quelle cruauté, elle aime à dormir tard, même à l'Institut on la laissait dormir par ordre {Ma mère logeait à coté des enfants. Le matin l'Empereur allait chez ses filles et venuit taper avec elles à, la porte de ma mère, pour la réveiller, c'était un des plaisirs des enfants.} de médecin un peu plus longtemps.

-----

   On a fait l'esquisse pour le tableau du camp; je déteste à poser; il y a trois ans ma miniature a mieux réussie. Les aquarelles pour l'album de l'Impératrice ont bien réussi, surtout celle de Lubinka {La' future P-sse Souvorofî, М-elle Euler, la P-sse Ouroussoff, ma mère -- les 4 beautés pour l'album. Le tableau du camp est au vieux Palais и Peterhof; l'Imperatrice à cheval avec les demoiselles d'honneur à Krassnoë Sélo (au camp.).} et Alexandrine; celle de Sophie moins bien et moi mal; j'étais de si mauvaise humeur. Ce soir, the d'adieu pour les habitants de Tzarskoë.

-----

   Nous sommes allées au camp et avons eu des agitations sans fin. Nous sommes toutes allées en char à banc à la suite de sa Majesté, et les calèches avec les femmes et les robes devaient suivre. On rentre du camp, pas de calèches, pas de robes.
   Désolation! Je vais ches les femmes de l'Impératrice et j'apprends qu'elles ne sont pas {М-rs Ellis avait la garde des diamants, m-elle Klügel était alors 1-re Kammer-frau: quand elle devint vieille, elle fut remplacée par m-me Rohrbeck, qui resta jusqu'à la mort d'Александра Ѳеодоровна.} arrivées, excepté М-rs Ellis et Ivlügel, mais ni robes, ni coiffeur, ni les autres femmes. Klligel s'arrachait les cheveux; М-rs Ellis calme, avec les boites à bijoux devant elle, prenait du thé. Enfin les calèches ont paru, le coiffeur et les robes. Nous avons fait notre toilette comme des soldats quand il y a trévoga (тревога). A diner j'ai bougeonné et me suis plainte à qui de droit du retard. On m'a répondu que même les robes de l'Impératrice ont tardé et que nous n'avions pas à nous plaindre; ceci est vrai, mais si elle s'était déjà habillée, nous aurions pu manquer à l'appel, et c'est un désordre dans les écuries. L'Impératrice en a ri, mais a dit que cela ne doit plus se répéter, car il ne manque pas de chevaux et de cochers. Je crois que môme les soldats ne s'habillent pas aussi vite que nous hier, et de plus nous mourions de faim. Le P-ce Pierre m'a dit: "Cela n'a pas enlevé leur bon appétit aux demoiselles d'honneur; elles ônt fait honneur au diner".

-----

   Comme Aline est originale {Aline, fille du P. P. Wolhonsky (Волхонской) ministre de la cour. Sa mère la P-sse Sophie était l'originalité incarnée. A Francfort un jour elle fut arretée à la douane, avec sa demoiselle de compagnie, Miss Adelaide Pate et son médecin le D-r Pizzati; vêtue d'une vieille robe râpée, sans bagages et portant un sac dans lequel elle avait ses magnifiques diamants. On la prit pour une voleuse avec sa suite aussi mal vêtue. Pizzati racontait pathétiquement cette aventure, répétant: "La P-sse est habillée comme une mendiante toujours; j'étais furieux et Adelaide aussi, et elle riait; cela l'amusait. Enfin on est venue de la légation pour nous tirer de là.}. L'Impératrice lui disait l'autre jour: "Comme votre jupe est étroite, ma chère, on dirait qu'elle date de 1804". Aline à répondu avec le plus grand sérieux: "Elle est assez large pour que je sois à l'aise dedans et même je sauterai un ruisseau avec". L'Impératrice a éclaté de rire et lui a dit: "Vous êtes le portrait de votre mère, Aline". La petite {Devenue m-me de Lagreriée.} Doubensky est très gentille et la G-de D-sse Marie l'aime beaucoup; elles font des lectures ensemble.

-----

   A peine rentrés du camp l'Empereur a reèu un courrier de Paris, avec la nouvelle la plus inattendue, la catastrophe la plus complètement foudroyante. Le roi est parti pour Rambouillet. Paris est en révolution. Du reste Modêne disait ce soir que S. М. craignait l'effet des dernières mesures, les ordonnances, et qu'il en avait prévenu le roi. Le Duc de Polignac n'est pas un Duc de Richelieu! Cette malheureuse D-sse d'Angouléme va reprendre le chemin de l'exile. On dit qu'ils vont en Angleterre. Pozzo a expédié le courrier presque sans détails avec les premières nouvelles. L'Empereur est soucieux, car il ne sait pas où cela mènera la France.

-----

   Un second courrier est arrivé, parti le troisième jour de l'émeute, le soir tard. On a nommé le Duc d'Orléans lientenant du royaume. Le roi, les Angoulême, le petit Duc de Bordeaux, Mademoiselle, la D-esse de Berry, qui a montré beaucoup de fermeté, vont s'embarquer pour l'Angleterre. Quel fin! Quel évènement!

-----

   L'Empereur a eu encore un courrier avec beaucuop de détails. Pozzo annonce qu'on enverra le général Athalin à Sa Majesté, qu'il sera porteur d'une lettre du Duc d'Orléans, qui a été élu roi. L'Empereur est très préoccupé; il disait ce soir au thé: "L'élection des rois a perdu la Pologne, et elle perdra la France, et ce serait beaucoup plus grave. Je ne souhaite que du bien à la France et elle est aussi nécessaire à l'équilibre européen". Modêne a répondu: "Ceux qui font les rois, les défont aussi, Sire".
   L'Empereur a dit alors: "C'est là le danger. Mon frère avait de la sympathie pour la France, et la Russie a voulu être l'amie de la France depuis Pierre le Grand".

-----

   Les La Ferronays partent {М-elie de la Ferronays (devenue m-me Craven), était liée avec m-elle Sophie Laval (amie de ma mère, devenue C-tesse Borch) fille d'un émigré aussi, qui resta en Russie, et épousa une russe. La Ferronays et Mortemort ambassadeurs de Prance en Russie, le C-te Pazzo di Barqo, amb issadeur de Russie à Paris.}. Pauline est venue nous dire adieu avec Sophie, qui a passé la journée avec nous. L'Empereur regrette La Ferronays; il causait volontiers avec lui. Après Mortemort c'est celui qui lui a été le plus sympathique. Pozzo sera envoyé à Londres; on ne sait pas encore qui ira à Paris, on dit que ce sera le C-te Pahlen.
   Modêne disait que Matuséwitch espérait у aller un jour, celui qui était à Londres avec les Lieven.

-----

   Le général Athalin est arrivé avec une lettre du roi Louis Philippe. Le Grand Duc m'a raconté que Caulaincourt avait de grands succès auprès des femmes. Mortemort et La Ferronays étaient moins brillants, très differents, gens de bonne compagnie, très sincères surtout (sérieux) ce qui n'était pas le cas avec Caul aincourt.

-----

   Iskra m'a fait rire ce soir en me racontant qu'il avait lu une biographie de Byron, que lui a donné la chair de poule, et qu'il récitera à l'avenir nne prière soir et matin: "Seigneur, dans ta miséricorde protège moi contre mes biographes dans l'avenir, contre mes admirateurs autant que contre mes détracteurs; les uns me jetteront des pavés de l'ours, les autres me noieront dans des flots d'encre empoisonnés. Préserve moi des uns et des autres, Seigneur" {Celle de Leigh Hunt. Pouchkine voyait beaucoup de diplomates anglais. 11 avait d'eux des livres anglais et la Revue d'Edimbourg, j'ai trouvé dans les notes des allusions à ce sujet: "Pouschkine est mécontent de l'article de la Revue d'Edimbourg sur Byron. Magennis lui a prêté le Quarterly. Joukowsky a critiqué l'article de Southey; celui de Scott est bon. Bligh m'a apporté les revues pour Pletnelï. Fiequelemont a parlé de l'article de la revue des deux Mondes et des Débats. On nous est hostile à Paris. Je trouve le Voleur très ennuyeux, (c'était nne revue du temps). Bligh m'a donné Schloss Hamfeld par B. Montagne. Sa soeur a épousé le poète Barry tornwell, que Pouschkine a traduit: "Here's a health to thee Mary", etc. Il y a aussi une allusion à deux peintres anglais: Dawe et m-rs Robinson: "Dawe a fait mon portrait pour l'album de S. М. Il a peint toute la ville, des hommes surtout. М-rs Robinson a achevé le portrait de l'Impératrice, il a réussi, mais la pose n'a pas sa grâce, c'est nne pose d'anglaise, c'est raide!" (sic).}.

-----

   Tout est tranquille à Paris. Le Duc d'Orléans a changé le titre royal; il se fait appeler: Roi {Emigré, qui est resté eu Russie; était à la cour et marié à une dame russe; une de ses filles était demoiselle d'honneur.} des Franèais. Modêne me disait: "Roi de quelques Parisiens serait plus juste". On a envoyé la copie d'une ôde à l'Empereur -- La Parisienne et les discours du roi Louis Philippe à la chambre et aux gardes nationaux. Le drapeau tricolore est hissé sur le Château à celui du drapeau royal. Laval {Le C-te Laval comme le C-te Modêne était marié en Russie et avait une fonction à la cour, sa fille aînée était mariée au Dékebriste Prince Troubetzkuë.} m'a dit que le roi (Charles X, vivra probablement en Autriche, parceque l'Angleterre lui rappelle des souvenirs très pénibles. Il y a eu une véritable bataille dans les rues à Paris, ou a pillé l'archevêché et on a tué beaucoup de monde. Cela a duré trois jours!" Retour à Tzarskoe demain.

-----

   Le soir l'Empereur avait reèu un courrier, il en parlait et disait à Nesselrode: {Le C-te Nesselrode, ministre des affaires étrangères marié à la C-tesse Gonrieff (Гурьева).} "Je ne donne pas 20 ans de règne au roi des Franèais; ceux qui l'ont mis sur le trône, у mettront un autre; le principe est tué, mais je ne me mêlerai de rien; les affaires intérieures da la France ne me regardent pas du tout {L Empereur a averti Charles X pourtant du danger qu'il у avait à signer les ordonnances (mem. de Stockmar). Ma mère a lu ces mémoires à Londres et disait que c'était vrai, que l'Empereur en avait parlé en 1830, disant: "Le courrier est arrivé à temps, mais il y a en comme une fatalité, qui a poussé le roi Charles X. Polignac a toujours été visionnaire depuis sa jeunesse même. Il a même consulté une illuminée à Londres. Si Richelieu avait vécu tout cela ne serait pas arrivé". Ma mère a trouvé une des conversations citées par Stockmar douteuse, celle, ou il s'agit du C-te de Chambord. L'Empereur avait beaucoup de sympathie pour lui. C'est à Londres que le surnom: "l'homme malade" a été adapté pour la Turquie, lorsque l'Empereur avait aussi dit: "C'est madame Adélaïde qui est l'homme de la famille".
   Modêne a raconté qu'on lui avait écrit de Paris qu'elle était secrètement mariée au général Athalin.}; je ne suis pas obligé de m'en mêler. Mon frère en 1814 a agi avec les autres Puissances, la situation l'exigeait. Elle a changé. J'ai écrit au roi Louis Philippe en toute franchise, je lui ai dit ce que je pensais. On me dit que ma lettre l'a froissé; mais un homme honnête doit parler sincèrement et je lui ai expliqué ce que sa position avait de dangeureux pour le principe monarchique qu'il représente.
   Ce danger le menacera toujours, et il découle de son élection. Dureste je l'ai dit au général Athalin qui m'a paru très intelligent, et qui a très bien compris que c'était le talon d'Achille de la royauté nouvelle. Je souhaite me tromper car je ne désire que du bien au peuple franèais. J'ai dit au général Athalin que je désirais du bien au pays et au roi; en toute conscience je ne pouvais pas ne pas avertir Louis Philippe et je lui ai écrit ce que je devais, sans finesses diplomatiques, car je les déteste et n'en userai jamais {Cela se passait le soir, au thé de l'Impératrice.}.

-----

   J'ai raconté cette conversation à Pouschkine en toute confidence; il a été très frappé de cela, et m'a dit: "l'Empereur est au dessus des finasseries de chancellerie; comme à son habitude il a parlé avec la droiture qui le caractérise. Il n'a pas tort. Cette élection royale, car ce n'est pas autre chose, est faite par le tiers, la bourgeoisie surtout. Mais un jour les blouses voudront élire leur candidat et elles se lèveront contre les ministres bourgeois; ils auront une nouvelle révolution, c'est fatal. Les diètes et les élections ont perdu la Pologne. La France a plus de vitalité certes, elle l'a montrée depuis 1789. Un autre pays aurait péri cent fois, mais la monarchie nouvelle ne me parait pas très solide. J'ai relu Tacite et d'antres historiens latins à la campagne. A Rome les Prétoriens ont fini par élire des Iiéliogobales, c'est la décadence. L'Empereur ne se trompe pas. Le principe monarchique en Franèe a été tué, la légitimité de ce pouvoir, et peut-être plus qu'en 1791. J'ai demandé à Pouschkine de ne pas répéter ce que je lui ai raconté et l'ai prevénu que je dirai à S. М. que j'ai été indiscrète. L'Empereur m'a répondu quand je lui en ai parlé: "Pouschkine est très discrêt; il a tant de tact, et c'est une capacité. D'ailleurs je ne fais aucun mystère de mon opinion. Vous pouvez lui redire tout ce qui peut l'intéresser; je me fie à lui, il n'en mésusera jamais, il est trop loyal" (sic.).

-----

   Langeron {De v. C-te Langeron, qui a succédé à Odessa au duc de Richelieu, lié avec mes grands parents de Rosset.} est venu me faire une visite et m'a dit: "Eli bien, ma chère enfant, qu'en dites vous? Richelieu et votre père sont bien heureux d'être morts avant cette débâcle. Mais si Richelieu avait vécu, le Roi n aurait jamais signé les Ordonnances! C'est moi qui vous en réponds. Quant à Polignac c'est un illuminé; il a des visions (sic.)! Je suis sûr que le Prince de Bénévent a été mêlé à tout cela; il a toujours trahi tout le monde. Feu l'Empereur se défiait de lui depuis 1808 déjà".

-----

   [Plus tard il est question des ministres franèais, et surtout de Monsieur de Barante]: "Le nouveau ministre de France plait beaucoup à l'Empereur. C'est un écrivain et un homme d'esprit très bien élevé. Il a apporté des assurances de la part du roi Louis Philippe. On dit aussi que le roi fait beaucoup d'avances à l'Angleterre, car on cherche des alliances des deux cotés".

-----

   [Notes diverses]: {Ce sont les Impératrices russes qui ont importé les arbres de Noël chez nous depuis l'Empereur Paul. Les Enfants sont ceux du Tzar. A cette date les demoiselles d'honneur ne portaient pas encore un costume. L'Impératrice donnait beaucoup de toilettes à ces jeunes filles et payait même leurs dettes de toilette souvent.} "Arbre des Enfants. S. М. m'a donné une traine rose brodée d'argent et à Alexandrine Euler une traine bleue de ciel et argent. Modêne nous a dit que nous serons celestes à la sortie du jour de l'an. Joukowsky a déclaré qu'il restera le plus loin possible de nous, pour ne pas avoir de distractions, notre beauté l'empêchera de prier Dieu".

-----

   Baise-main et sortie 1 Janvier. Il y eu a beaucoup de grâces, ce qui a mis tout le monde de bonne humeur. L'Impératrice si fatiguée du baisemain qu'elle a dû se coucher; elle avait des palpitations de coeur {L'Impératrice était enceinte a cette date; depuis le 14 D. 1825 elle a souffert de palpitatious de coeur.}.

-----

   [Autre note]: "Aux matineés l'Impératrice n'a pas paru et il n'y a pas en de baise-main après les vêpres le dimanche. Je suis allée chez les Karamzine, où Joukowsky était attablé; cependant il a très solidement réveillonné (разговѣлся) la nuit. Il m'a déclaré qu'il a un estomac qui prouve sa bonne conscience et sa belle constitution à la fois.

-----

   "Metternich a écrit à Nesselrode avec le dernier courrier que Charles X est établi au Hradschin {Charles X a vécu à Prague, dans le château du Hradschein assez longtemps.}, et qu'ils sont très entourés en attendant par des fidèles. La D-esse de Berry est pleine de courage, les enfants très beaux et forts, le roi silencieux mais pas morose. Le Duc d'Angoulème triste et faisant peine à voir, la Duchesse souffrante et abattue. Quelle terrible existence elle a eu depuis sa première adolescence. L'Empereur disait devant moi que Metternich n'aimait pas les Bourbons et ne pouvait pas souffrir Napoléon. Il disait aussi qu'à 20 ans le Prince Clément a déjà ôté envoyé à Londres par son père, gouverneur dans les Flandres, pour traiter des subsides avec Pitt.

-----

   [Il y a quelques lignes sur la révolution Belge aussi]: Le roi (des Pays Bas), a quitté Bruxelles, la reine était partie avant pour La Haye. L'Empereur a reèu un courrier d'elle et un d'Angleterre. Le ministère anglais ne permettra pas au roi Louis Philippe de s'emparer d'Anvers et l'Empereur est du même avis. On raconte que le roi Louis Philippe veut mettre son second fils sur le trône Belge; qu'on en fera un nouveau royaume. L'Angleterre a fait savoir qu'elle proposera le Prince Léopold, le veuf de la P-esse Charlotte. L'Empereur a dit à Nesselrode qu'il ne se mêlera de rien, seulement Anvers doit rester au futur roi des Belges et il a ordonné à Nesselrode de le faire savoir à Londres {Le C-te Michel Wielhorsky aimait beaucoup Pouschkine, Joukowsky et Gogol. Il faisait la lecture à l'Impératrice le боіг. Très mélomane, comme son frère le C-te Mathieu, qui plus tard l'a remplacé auprès de S. М.} et à Paris. C'est Wielhorsky qui m'a raconté ces nouvelles pour Pouschkine, parceque j'allais chez les Karamzine et lui n'у va pas ce soir".
   
   [Bien après, des notes littéraires dont j'extrais des passages.
   En 1829 Pouschkine suivit l'armée de Paskewitch à Erzéranne. S'il n'écrivit pas le voyage sentimental, il a décrit ses impressions et les publia en 1836 dans le Contemporain. Ma mère l'appelle tantôt Сверчокъ tantôt Iskra (nom du cosaque dans Poltava). Ces noms reviennent sans cesse dans ses notes. On у voit que malgré sa jeunesse, le poète, tout ce qu'il dit, et ces rapports avec le Tzar, l'ont intéressée et qu'elle en comprend l'importance. Elle parle des tètes, des petites histoires du temps, se moque en faisant des portraits mordants de certains personnages; pense tout haut, décrit d'un mot spirituel. Dans ses portraits on trouverait de quoi faire des nouvelles, des comédies, mais je ne citerai que des choses historiques et littéraires], [Dans le courant de 1830 il y a la première allusion à Gogol très vague]:
   "Lise Repnine {Née Balabine, amie de ma mère.} m'a dit que Marie souffre moins de ses migraines, elle peut reprendre ses leèons. Ils ont trouvé un maître pour elle, mais ce n'est pas Pletneff. Warette Repnine {La P-sse Warette Repnine, soeur du Prince Basile, morte très âgée, grande amie de Gogol. Les Repnine sont de Poltava. Gogol allait chez eux à leur terre de Jégatino. La vieille Princesse l'aimait beaucoup Son mari était le petit fils du célébré Repnine de Pierre le Grand, et fils du vice roi de Varsovie, qui bâtit de ses fonds la Terrasse de Brühl à Dresde. Warette Repnine, fort indépendante, était un type original; du reste c'était le caractère de la famille: indépendance et originalité.}, qui le commit a vû sa famille à Poltava; ils sont apparentés avec Trotchensky, qui est mort très âgé, il y a un an. L'Empereur en faisait l'éloge alors; il a été ministre sous Catherine, Paul l'a renvoyé et feu l'Empereur à son avènement est allé lui même le prier de reprendre son poste, car il l'estimait beaucoup. Cette famille s'appelle Gogol-Janowsky; elle est ultra petite russienne. Warette les apprécie beaucoup. Lise dit que le maître est Вотъ. [Bien après il en est question encore]: "J'ai aperèu le Hohol (хохолъ) de Warette de loin en allant dire adieu aux Balabine {М-me Balabine était fille d'un émigré, М-r de Pâris. Liée avec la supérieure de l'Institut m-me Breitkopf, tante du Dekabriste Küchelbecker et parente des Glinka. Les élèves appelaient les Supérieures de St. Catherine et du couvent de Smolna "maman".}. Le vieux М-r de Péris у était. Il s'est réjouis de me voir; nous avons parlé de Maman Breitkopf, des Küchelbecker, des Glinka, de l'Institut. Lise m'a dit: "Ne parlez pas au Hohol (хохолъ), {Cette rencontre fortuite fut pourtant le point de départ de l'intérêt que prit ma mère à Gogol, pareeqa'il était Petit Russien, et qu'elle avait été en Petite Russie (quoique née à Odessa) dans son enfance; même chez les Kapnist, amis de Gogol aussi.} il est très timide et il ne faut pas interrompre la leèon" (sic.). "J'ai demandé si Marie aime son pédagogue; il parait qu'il a beaucoup d'esprit, mais qu'il parle très peu, il est très timide. Il m'a paru gauche et triste, mais sa ligure est très petite-russienne, même son t chоup (чубъ) m'a rappelé le vieux Waranowsky {Waranowsky était un petit-russien, très riche établi en nouvelle Russie aussi et dont le neveu avait épousé une de mes grand-tantes.} qui venait les dimanche chez grand maman. J'ai prié Pletneff de m'amener un jour ce Gogol Janowsky, je voulais le voir puisqu il est: is pod Monumenta {Né sous le monument (de la bataille de Poltava) locution locale que le peuple emploie encore pour dire qu'il est du gouvernement de Poltava, coeur de l'Deraine.}; il a refusé de venir, il est trop timide. J'ai si envie de parler à un Hohol, un vrai. d'entendre l'accent d'un Hohol cela me rappellera grand maman, Gramocléa {Terre de ma bis-aïeule Lohrer.}, mon enfance. Quoique grand-maman n'avait pas l'accent {М-me de Lohrer était née Princesse Tzizianoff. Son frère le Prince Dmitry, vivait encore. Ils étaient parents du célébré général Tzizianoff.}; elle avait celui des géorgiens, comme le grand oncle, mais elle parlait aussi petit-russien, comme moi et maman. Je veux voir ce Hohol récalcitrant, lui parler de la Petite-Russie, de tout ce que j'aime tant. J'ai demandé à Pletneff de lui dire que je suis aussi une Hohlatchka (хохлачка).
   [Quelque temps après ma mère ecrit]: "Enfin. Grillon Pt Büyk (сверчокъ и бычокъ) mes deux "bêtes de l'Arzamas" ont amené Gogol-Janowsky chez moi. Cela m'a ravie de parier de la Petite-Russie et alors il s'est animé aussi. Je les ai tous surpris en leur récitantjdes vers d'une chanson petiterussienne. Je suis sûre que le ciel du Nord pèse comme un bonnet de plomb au Hohol, car il est bien lourd souvent. Nous avons parlé de tout même de galouchky! J'ai raconté les peurs que Hopka {Bonne, qui soignait les enfants de Rosset a Gromacléa, sous les ordres d'Amalia Iwanowna la gouvernante suisse, qui les vit tous naître.} me faisait, en me parlant du Vij. Pouschkine disait que c'est le vampyre des grecs et des Jougo-Slaves. Chez nous le Vij n'existe pas dans les contes du nord. Joukowsky fidèle à Goethe, a récité la Braut von Corinth. Gogol a appris l'allemand et le comprend très bien; il admire Schiller, et Joukowsky lui a dit que j'avais très bien récité à l'examen Das Eleusische Fest! J'ai remarqué que Gogol rayonne dès que Pouschkine lui parle. Quand il a entendu que je l'appelle Iskra il a trouvé le nom très bien choisi; plus poétique que Grillon. Comme Grillon est bon, il a de suite apprivoisé le pauvre llohol timide, triste et récalcitrant; il est aussi bon que Sweet William, le bon boeuf qui mugit. Mon petit boeuf mugit, enchanté d'avoir des sobriquets, c'est même le beloï bitchek (бѣлый бычокъ) des contes d'enfants.

-----

   "Joukowsky est superlativement bon. Hier S. М. ma parlé. Je lui ai raconté que j'ai donné un surnom à М-lle de Wildermette {Institutrice de l'Imperatrice Alexandra; elle venait de temps en temps la voir. Elle est morte fort âgée à Berne.} et à Joukowsky., parcequils ont conservé la S-te. Simplicité, que St. Franèois de Sales a tant récommandée et je les appelle М-r et М-me Ninette à la cour. L'Impératrice en a ri et surtout quand j'ai ajouté: "Vous êtes aussi superlativement bonne, V. М.-- Vous avez la St-e Simplicité; c'est un grand mérite. Le Père Naoumolf à l'Institut insistait sur cela toujours. Et moi je n'aime pas les personnes compliquéés en général". L'Impératrice a ri de tout son coeur et me dit: "Tchernenkâ {Ma mère et m-elle Euler s'appelant toutes les deux Alexandrine, la petite G-de d-elle A. N. les nommait Sacha Tcheruenka et Sacha Belinka, parcequc ma mère était brune et son amie très blonde. Toute la famille Impériale I-le a toujours appelé mu mère ainsi depuis, meme en lui écrivant.} (Черненькая) vous êtes donc trop amusante; j'aime votre franchise, elle me plait". J'ai répondu: "Peut-être que je ne devrais pas me permettre de dire à V. М. ce que je pense d'elle, mais cela m'a échappé".-- "Au contraire, m'a répondu l'Impératrice, on doit la sincérité et la franchise à ceux qu'on aime et estime. Le Prince Pierre {Le P-ce P. Wolkonsky ministre de la cour. Sa fille devenue m-me Dournoll' était une amie intime de ma mère, et tout aussi rudement franche; c'était une femme très instruite et d'un esprit très droit et ouvert.} m'a dit l'autre soir, que je suis dans la catégorie des enfants terribles, que les gens se défient de moi, et que je me ferai des ennemis, qu'il faut cacher ce, que l'on pense, surtout à la cour. Tant pis, je ne puis m'extâsier quand une chose me déplaît, c'est un malheur. Il ajoutait: "Quand vous ne parlez pas, vos yeux parlent". J'ai riposté: "Faut-il que je me promène les yeux fermés? ou bien avec un bandeau comme la Justice". Modêne toujours vert galant m'a dit: "Non, comme l'amour, Rosina Amabile, il a aussi un bandeau sur les yeux!" J'ai encore riposté: "C'est pourquoi il tombe si mal quelquefois".

-----

   Jonkowsky est- triomphant d'avoir empoigné le lloliol récalcitrant, parcequ'il a vu que cela m'a fait tant de plaisir de parler de la PetiteRussie, de grand-maman, de Gramocléa, de Норка et des contes quelle me fesait. Gogol les a aussi entendus de sa bonne. Nous avons parlé des nids de cigognes sur les toits en Oukraïne, des Tchoumaky (чумаки) des Hobsary (Кобзари), des Hongrois qui apportaient des plumes de faisan à ma mère. J'ai promis à Pouschkine de gronder le pauvre Hohol, s'il devient trop triste dans la Palmyre du Nord, dont le soleil a toujours Pair si malade. Pouschkine disait que l'été dans le Nord est la caricature des hivers du midi. Ils ont tant taquiné Gogol sur sa timidité et sa sauvagerie qu'ils ont fini par le mettre à l'aise et il avait Pair content d'être venu me voir s'konvoyém (съ конвоемъ).

-----

   Grillon était venu me parler de Gogol. Il a passé plusieurs heures chez lui; a examiné ses cahiers, ses notes, tout ce qu'il avait inscrit en voyage. Il est frappé de tout ce que Gogol a déjà observé entre Poltava et Pétersbourg, car il a même noté des conversations et décrit des villes où il s'est arrêté, et même les figures, le paysage, la différence entre les gens du Nord et les Hohols. Pouschkine a fini par dire: "Ce sera un Sterne russe, il a un talent original, car il voit tout; ii sait rire, il est triste et fera pleurer aussi. Il saisit les nuances, les ridicules, il a du humour, et avant dix ans ce sera un talent de premier ordre. Il a le sens dramatique aussi".

-----

   J'avais relu le "Voyage Sentimental" parceque Pouschkine m'avait engagée à le traduire; pour me séduire il m'avait déclaré, qu'il ferait la préface, et que nous publierions sous un pseudonyme R. C. et Islcra; mais je suis trop paresseuse et Pletneff m'a grondée. Grillon m'a dit ensuite: "Inscrivez-vous au moins tout ce que vous entendez?" Alors je lui ai fait voir mon journal, et il m'a montré ses notes. L'autre jour il a encore brûlé un cahier de Kiclieneff. Il dit qu'il a le pressentiment qu'il doit mourir jeune, et même subitement, et que tout ce qu'il n'a pas le courage de brûler, est cacheté et sera détruit après sa mort, s'il n'a pas le temps. On lui écrit que tous les papiers de Griboyédoff ont été pillés à Téhéran, beaucoup de choses intéressantes ont disparu ainsi: son journal, et un drame géorgien, qu'il avait commencé, et des poésies, à moins qu'il n'en ait laissé chez sa femme à Tabris". Il l'avait laissée là, sans (doute qu'il avait eu un pressentiment, car elle aurait été aussi massacrée. Jean Maltzeff {J. Maltzeff, un des sécrétaires à Téhéran.} est le seul qui ait échappé. On a tué près de 40 personnes dans la légation, entre l'escorte cosaque. Popschkine a sû des détails par des lettres de Raewskoy. Il est très content que l'Empereur ait permis de jouer: Goré ot ouma (Горе отъ ума). J'irai voir la pièce aussi; elle doit faire un grand effet. On Га jouée au Caucase, des officiers, devant Grébojedoff, en 1827, je crois, dans le Palais des Sardars Persans à Erivan; ce détail est original. Jérmoloff et Beboutoff aimaient beaucoup Grebojedoff. Pouschkine prétend qu'il avait presque du génie et que sa mort est irréparable pour notre littérature; qu'il aurait été notre Molière.

-----

   Pouschkine est revenu me voir et m'a lù des notes, qu'il a faites à Odessa et à Tiflis, pendant le voyage à Erzéranne. 11 veut publier tout cela uu jour. Puis il m'a lu sous le sceau du secret une chose très originale: Chronique du village de Gorochino. C'est la Russie! Je lui ai dit: "La censure ne le permettra pas, elle devihera". Alors Iskra m'a dit: "C'est trop peu de choses pour en parler à S. М. Réservons nous pour la poésie". Puis il a reparlé des mémoires, des correspondances du grand règne en France; de St. Simon, de М-me de Sévigné et il a ajouté: "En Franèe malgré la révolution on a le culte du passé. On publie tout ce qui a trait â ce passé, avec des commentaires, des détails; chez nous on est encore sous ce rapport dans l'enfance. L'Impératrice Catherine a chargé Tcherbatoff de publier le Dnéwnick de Pierre le Grand. 11 у a des trésors aux archives. Quand nous serons plus civilisés on у pensera; mais si personne n écrit son journal, si on n'a pas de correspondance, tout le passé meurt inédit!" Je lui ai dit que j'avais même fait mon Journal à l'Institut, parceque М-elle de Walsch {Dame de classe à l'Institut de l'ordre de S-te Catherine (émigrée).} me l'a fait commencer. Mon journal est très court, je n'ai pas de style, je n'ai que le temps de faire des notes de tout ce qui me frappe; je lui ai même avoué que j'avais inscrit tout ce qu'il me dit. Pouschkine m'a répondu: "C'est très flatteur pour moi, mais vous avez raison de faire de suite des notes courtes; la première impression est la plus sincère". Il m'a raconté qu'il lit à présent les correspondances de Port-Royal. Il est enchanté des Jansénistes: Pascal, Nicole, Arnould, la mère Angélique et Boileau. Il préfère leur style môme à Bossuet. Il admire Fénélon; il le trouve plus poète que Racine. Il a plus de respect que de goût pour Racine.

"Сѣверный Вѣстникъ", No 1, 1893

   

 Ваша оценка:

Связаться с программистом сайта.

Рейтинг@Mail.ru