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Parallèlement

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Paul Verlaine

Parallèlement

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Prêface

  
   " Parallèlement " à Sagesse, Amour, et aussi à Bonheur qui va suivre et conclure. Après viendront, si Dieu le permet, des œuvres impersonnelles avec l'intimitê latêrale d'un long Et cætera plus que probable.
   Ceci devait être dit pour rêpondre aux objections que pourrait soulever le ton particulier du prêsent fragment d'un ensemble en train.
  
   Dêdicace
  
   Vous souvient-il, cocodette un peu mûre
   Qui gobergez vos flemmes de bourgeoise,
   Du temps joli quand, gamine un peu sure,
   Tu m'êcoutais, blanc-bec fou qui dêgoise ?
  
   Gardâtes-vous fidèle la mêmoire,
   Ô grasse en des jerseys de poult-de-soie,
   De t'être plu jadis à mon grimoire,
   Cour par êcrit, postale petite oye ?
  
   Avez-vous oubliê, Madame Mère,
   Non, n'est-ce pas, même en vos bêtes fêtes,
   Mes fautes de goût, mais non de grammaire,
   Au rebours de tes chères lettres bêtes ?
  
   Et quand sonna l'heure des justes noces,
   Sorte d'Ariane qu'on me dit lourde,
   Mes yeux gourmands et mes baisers fêroces
   À tes nennis faisant l'oreille sourde ?
  
   Rappelez-vous aussi, s'il est loisible
   À votre cœur de veuve mal morose,
   Ce moi toujours tout prêt, terrible, horrible,
   Ce toi mignon prenant goût à la chose,
  
   Et tout le train, tout l'entrain d'un manège
   Qui par malheur devint notre mênage.
   Que n'avez-vous, en ces jours-là, que n'ai-je
   Compris les torts de votre et de mon âge !
  
   C'est bien fâcheux : me voici, lamentable
   Épave êparse à tous les flots du vice,
   Vous voici, toi, coquine dêtestable,
   Et ceci fallait que je l'êcrivisse !
  
  
   Allêgorie
  
   Un très vieux temple antique s'êcroulant
   Sur le sommet indêcis d'un mont jaune,
   Ainsi qu'un roi dêchu pleurant son trône,
   Se mire, pâle, au tain d'un fleuve lent.
  
   Grâce endormie et regard somnolent,
   Une naïade âgêe, auprès d'un aulne,
   Avec un brin de saule agace un faune
   Qui lui sourit, bucolique et galant.
  
   Sujet naïf et fade qui m'attristes,
   Dis, quel poète entre tous les artistes,
   Quel ouvrier morose t'opêra,
  
   Tapisserie usêe et surannêe,
   Banale comme un dêcor d'opêra,
   Factice, hêlas ! comme ma destinêe ?
  

Les Amies

I

  
   Sur le Balcon
  
   Toutes deux regardaient s'enfuir les hirondelles :
   L'une pâle aux cheveux de jais, et l'autre blonde
   Et rose, et leurs peignoirs lêgers de vieille blonde
   Vaguement serpentaient, nuages, autour d'elles.
  
   Et toutes deux, avec des langueurs d'asphodèles,
   Tandis qu'au ciel montait la lune molle et ronde,
   Savouraient à longs traits l'êmotion profonde
   Du soir et le bonheur triste des cœurs fidèles.
  
   Telles, leurs bras pressant, moites, leurs tailles souples,
   Couple êtrange qui prend pitiê des autres couples,
   Telles, sur le balcon, rêvaient les jeunes femmes.
  
   Derrière elles, au fond du retrait riche et sombre,
   Emphatique comme un trône de mêlodrame
   Et plein d'odeurs, le Lit, dêfait, s'ouvrait dans l'ombre.
  

II

  
   Pensionnaires
  
   L'une avait quinze ans, l'autre en avait seize ;
   Toutes deux dormaient dans la même chambre
   C'êtait par un soir très lourd de septembre
   Frêles, des yeux bleus, des rougeurs de fraise.
  
   Chacune a quittê, pour se mettre à l'aise,
   La fine chemise au frais parfum d'ambre,
   La plus jeune êtend les bras, et se cambre,
   Et sa sœur, les mains sur ses seins, la baise,
  
   Puis tombe à genoux, puis devient farouche
   Et tumultueuse et folle, et sa bouche
   Plonge sous l'or blond, dans les ombres grises ;
  
   Et l'enfant, pendant ce temps-là, recense
   Sur ses doigts mignons des valses promises.
   Et, rose, sourit avec innocence.
  

III

  
   Per amica silentia
  
   Les longs rideaux de blanche mousseline
   Que la lueur pâle de la veilleuse
   Fait fluer comme une vague opaline
   Dans l'ombre mollement mystêrieuse,
  
   Les grands rideaux du grand lit d'Adeline
   Ont entendu, Claire, ta voix rieuse,
   Ta douce voix argentine et câline
   Qu'une autre voix enlace, furieuse.
  
   " Aimons, aimons ! " disaient vos voix mêlêes,
   Claire, Adeline, adorables victimes
   Du noble vœu de vos âmes sublimes.
  
   Aimez, aimez ! ô chères Esseulêes,
   Puisqu'en ces jours de malheur, vous encore,
   Le glorieux Stigmate vous dêcore.
  

IV

  
   Printemps
  
   Tendre, la jeune femme rousse,
   Que tant d'innocence êmoustille,
   Dit à la blonde jeune fille
   Ces mots, tout bas, d'une voix douce :
  
   " Sève qui monte et fleur qui pousse,
   Ton enfance est une charmille :
   Laisse errer mes doigts dans la mousse
   Où le bouton de rose brille,
  
   Laisse-moi, parmi l'herbe claire,
   Boire les gouttes de rosêe
   Dont la fleur tendre est arrosêe, --
  
   Afin que le plaisir, ma chère,
   Illumine ton front candide
   Comme l'aube l'azur timide. "
  

V

  
   Étê
  
   Et l'enfant rêpondit, pâmêe
   Sous la fourmillante caresse
   De sa pantelante maîtresse :
   " Je me meurs, ô ma bien-aimêe !
  
   Je me meurs : ta gorge enflammêe
   Et lourde me soûle et m'oppresse ;
   Ta forte chair d'où sort l'ivresse
   Est êtrangement parfumêe ;
  
   Elle a, ta chair, le charme sombre
   Des maturitês estivales, --
   Elle en a l'ambre, elle en a l'ombre ;
  
   Ta voix tonne dans les rafales,
   Et ta chevelure sanglante
   Fuit brusquement dans la nuit lente. "
  

VI

  
   Sappho
  
   Furieuse, les yeux caves et les seins roides,
   Sappho, que la langueur de son dêsir irrite,
   Comme une louve court le long des grèves froides,
  
   Elle songe à Phaon, oublieuse du Rite,
   Et, voyant à ce point ses larmes dêdaignêes,
   Arrache ses cheveux immenses par poignêes ;
  
   Puis elle êvoque, en des remords sans accalmies,
   Ces temps où rayonnait, pure, la jeune gloire
   De ses amours chantês en vers que la mêmoire
   De l'âme va redire aux vierges endormies :
  
   Et voilà qu'elle abat ses paupières blêmies
   Et saute dans la mer où l'appelle la Moire, --
   Tandis qu'au ciel êclate, incendiant l'eau noire,
   La pâle Sêlênê qui venge les Amies.
  

Filles

I

  
   À la princesse Roukhine
   " Capellos de Angelos. "
   (Friandise espagnole.)
  
   C'est une laide de Boucher
   Sans poudre dans sa chevelure,
   Follement blonde et d'une allure
   Vênuste à tous nous dêbaucher.
  
   Mais je la crois mienne entre tous,
   Cette crinière tant baisêe,
   Cette cascatelle embrasêe
   Qui m'allume par tous les bouts.
  
   Elle est à moi bien plus encor
   Comme une flamboyante enceinte
   Aux entours de la porte sainte,
   L'alme, la dive toison d'or !
  
   Et qui pourrait dire ce corps
   Sinon moi, son chantre et son prêtre,
   Et son esclave humble et son maître
   Qui s'en damnerait sans remords,
  
   Son cher corps rare, harmonieux,
   Suave, blanc comme une rose
   Blanche, blanc de lait pur, et rose
   Comme un lys sous de pourpres cieux ?
  
   Cuisses belles, seins redressants,
   Le dos, les reins, le ventre, fête
   Pour les yeux et les mains en quête
   Et pour la bouche et tous les sens ?
  
   Mignonne, allons voir si ton lit
   A toujours sous le rideau rouge
   L'oreiller sorcier qui tant bouge
   Et les draps fous. Ô vers ton lit !
  

II

  
   Sêguidille
  
   Brune encore non eue,
   Je te veux presque nue
   Sur un canapê noir
   Dans un jaune boudoir,
   Comme en mil huit cent trente.
  
   Presque nue et non nue
   À travers une nue
   De dentelles montrant
   Ta chair où va courant
   Ma bouche dêlirante.
  
   Je te veux trop rieuse
   Et très impêrieuse,
   Mêchante et mauvaise et
   Pire s'il te plaisait,
   Mais si luxurieuse !
  
   Ah, ton corps noir et rose
   Et clair de lune ! Ah, pose
   Ton coude sur mon cœur,
   Et tout ton corps vainqueur,
   Tout ton corps que j'adore !
  
   Ah, ton corps ; qu'il repose
   Sur mon âme morose
   Et l'êtouffe s'il peut,
   Si ton caprice veut,
   Encore, encore, encore !
  
   Splendides, glorieuses,
   Bellement furieuses
   Dans leurs jeunes êbats,
   Fous mon orgueil en bas
   Sous tes fesses joyeuses !
  

III

  
   Casta Piana
  
   Tes cheveux bleus aux dessous roux,
   Tes yeux très durs qui sont trop doux,
   Ta beautê qui n'en est pas une,
   Tes seins que busqua, que musqua
   Un diable cruel et jusqu'à
   Ta pâleur volêe à la lune,
  
   Nous ont mis dans tous nos êtats,
   Notre-Dame du galetas
   Que l'on vênère avec des cierges
   Non bênits, les Ave non plus
   Rêcitês lors des angêlus
   Que sonnent tant d'heures peu vierges.
  
   Et vraiment tu sens le fagot :
   Tu tournes un homme en nigaud,
   En chiffre, en symbole, en un souffle,
   Le temps de dire ou de faire oui,
   Le temps d'un bonjour êbloui,
   Le temps de baiser ta pantoufle.
  
   Terrible lieu, ton galetas !
   On t'y prend toujours sur le tas
   À dêmolir quelque maroufle,
   Et, dêcanillês, ces amants,
   Munis de tous les sacrements,
   T'y penses moins qu'à ta pantoufle !
  
   T'as raison ! Aime-moi donc mieux
   Que tous ces jeunes et ces vieux
   Qui ne savent pas la manière,
   Moi qui suis dans ton mouvement,
   Moi qui connais le boniment
   Et te voue une cour plênière !
  
   Ne fronce plus ces sourcils-ci,
   Casta, ni cette bouche-ci,
   Laisse-moi puiser tous tes baumes,
   Piana, sucrês, salês, poivrês,
   Et laisse-moi boire, poivrês,
   Salês, sucrês, tes sacrês baumes.
  

IV

  
   Auburn
   " Et des châtain's aussi. "
   (Chanson de Malbrouk.)
  
   Tes yeux, tes cheveux indêcis,
   L'arc mal prêcis de tes sourcils,
   La fleur pâlotte de ta bouche,
   Ton corps vague et pourtant dodu,
   Te donnent un air peu farouche
   À qui tout mon hommage est dû.
  
   Mon hommage, ah, parbleu ! tu l'as.
   Tous les soirs, quels joie et soulas,
   Ô ma très sortable châtaine,
   Quand vers mon lit tu viens, les seins
   Roides, et quelque peu hautaine,
   Sûre de mes humbles desseins.
  
   Les seins roides sous la chemise,
   Fière de la fête promise
   À tes sens partout et longtemps.
   Heureuse de savoir ma lèvre,
   Ma main, mon tout, impênitents
   De ces pêchês qu'un fol s'en sèvre !
  
   Sûre de baisers savoureux
   Dans le coin des yeux, dans le creux
   Des bras et sur le bout des mammes,
   Sûre de l'agenouillement
   Vers ce buisson ardent des femmes
   Follement, fanatiquement !
  
   Et hautaine puisque tu sais
   Que ma chair adore à l'excès
   Ta chair et que tel est ce culte
   Qu'après chaque mort, -- quelle mort ! --
   Elle renaît, dans quel tumulte !
   Pour mourir encore et plus fort.
  
   Oui, ma vague, sois orgueilleuse
   Car radieuse ou sourcilleuse,
   Je suis ton vaincu, tu m'as tien :
   Tu me roules comme la vague
   Dans un dêlice bien païen,
   Et tu n'es pas dêjà si vague ?
  

V

  
   À Mademoiselle ***
  
   Rustique beautê
   Qu'on a dans les coins,
   Tu sens bon les foins,
   La chair et l'êtê.
  
   Tes trente-deux dents
   De jeune animal
   Ne vont point trop mal
   À tes yeux ardents.
  
   Ton corps dêpravant
   Sous tes habits courts,
   -- Retroussês et lourds,
   Tes seins en avant,
  
   Tes mollets farauds,
   Ton buste tentant,
   -- Gai, comme impudent,
   Ton cul ferme et gros,
  
   Nous boutent au sang
   Un feu bête et doux
   Qui nous rend tout fous,
   Croupe, rein et flanc.
  
   Le petit vacher
   Tout fier de son cas,
   Le maître et ses gas,
   Les gas du berger,
  
   Je meurs si je mens,
   Je les trouve heureux,
   Tous ces culs-terreux,
   D'être tes amants.
  

VI

  
   À Madame ***
  
   Vos narines qui vont en l'air,
   Non loin de vos beaux yeux quelconques,
   Sont mignonnes comme ces conques
   Du bord de mer de bains de mer ;
  
   Un sourire moins franc qu'aimable
   Dêcouvre de petites dents,
   Diminutifs outrecuidants
   De celles d'un loup de la fable ;
  
   Bien en chair, lente avec du chien,
   On remarque votre personne,
   Et votre voix fine rêsonne
   Non sans des agrêments très bien ;
  
   De la grâce externe et lêgère
   Et qui me laissait plutôt coi
   Font de vous un morceau de roi,
   Ô de roi non absolu, chère !
  
   Toujours est-il, regret ou non,
   Que je ne sais pourquoi mon âme
   Par ces froids pense à vous, Madame
   De qui je ne sais plus le nom.
  

Rêvêrence parler

I

  
   Prologue d'un Livre dont il ne paraîtra que les extraits ci-après
  
   Ce n'est pas de ces dieux foudroyês,
   Ce n'est pas encore une infortune
   Poêtique autant qu'inopportune
   Ô lecteur de bon sens, ne fuyez !
  
   On sait trop tout le prix du malheur
   Pour le perdre en disert gaspillage.
   Vous n'aurez ni mes traits ni mon âge,
   Ni le vrai mal secret de mon cœur.
  
   Et de ce que ces vers maladifs
   Furent faits en prison, pour tout dire,
   On ne va pas crier au martyre.
   Que Dieu vous garde des expansifs !
  
   On vous donne un livre fait ainsi.
   Prenez-le pour ce qu'il vaut en somme.
   C'est l'ægri somnium d'un brave homme
   Étonnê de se trouver ici.
  
   On y met, avec la " bonne foy ",
   L'orthographe à peu près qu'on possède
   Regrettant de n'avoir à son aide
   Que ce prestige d'être bien soi.
  
   Vous lirez ce libelle tel quel,
   Tout ainsi que vous feriez d'un autre.
   Ce vœu bien modeste est le seul nôtre,
   N'êtant guère après tout criminel.
  
   Un mot encore, car je vous dois
   Quelque lueur en dêfinitive
   Concernant la chose qui m'arrive :
   Je compte parmi les maladroits.
  
   J'ai perdu ma vie et je sais bien
   Que tout blâme sur moi s'en va fondre :
   À cela je ne puis que rêpondre
   Que je suis vraiment nê Saturnien.
  

II

  
   Impression fausse
  
   Dame souris trotte,
   Noire dans le gris du soir,
   Dame souris trotte
   Grise dans le noir.
  
   On sonne la cloche,
   Dormez, les bons prisonniers !
   On sonne la cloche :
   Faut que vous dormiez.
  
   Pas de mauvais rêve,
   Ne pensez qu'à vos amours.
   Pas de mauvais rêve :
   Les belles toujours !
  
   Le grand clair de lune !
   On ronfle ferme à côtê.
   Le grand clair de lune
   En rêalitê !
  
   Un nuage passe,
   Il fait noir comme en un four.
   Un nuage passe.
   Tiens, le petit jour !
  
   Dame souris trotte,
   Rose dans les rayons bleus.
   Dame souris trotte :
   Debout, paresseux !
  

III

  
   Autre
  
   La cour se fleurit de souci
   Comme le front
   De tous ceux-ci
   Qui vont en rond
   En flageolant sur leur fêmur
   Dêbilitê
   Le long du mur
   Fou de clartê.
  
   Tournez, Samsons sans Dalila,
   Sans Philistin,
   Tournez bien la
   Meule au destin.
   Vaincu risible de la loi,
   Mouds tour à tour
   Ton cœur, ta foi
   Et ton amour !
  
   Ils vont ! et leurs pauvres souliers
   Font un bruit sec,
   Humiliês,
   La pipe au bec.
   Pas un mot ou bien le cachot,
   Pas un soupir.
   Il fait si chaud
   Qu'on croit mourir.
  
   J'en suis de ce cirque effarê,
   Soumis d'ailleurs
   Et prêparê
   À tous malheurs.
   Et pourquoi si j'ai contristê
   Ton vœu têtu,
   Sociêtê,
   Me choierais-tu ?
  
   Allons, frères, bons vieux voleurs,
   Doux vagabonds,
   Filous en fleurs,
   Mes chers, mes bons,
   Fumons philosophiquement,
   Promenons-nous
   Paisiblement :
   Rien faire est doux.
  

IV

  
   Rêversibilitê
  
   Totus in maligno positus.
  
   Entends les pompes qui font
   Le cri des chats.
   Des sifflets viennent et vont
   Comme en pourchas.
   Ah, dans ces tristes dêcors
   Les Dêjàs sont les Encors !
  
   Ô les vagues Angêlus !
   (Qui viennent d'où ?)
   Vois s'allumer les Saluts
   Du fond d'un trou.
   Ah, dans ces mornes sêjours
   Les Jamais sont les Toujours !
  
   Quels rêves êpouvantês,
   Vous grands murs blancs !
   Que de sanglots rêpêtês,
   Fous ou dolents !
   Ah, dans ces piteux retraits
   Les Toujours sont les Jamais !
  
   Tu meurs doucereusement,
   Obscurêment,
   Sans qu'on veille, ô cœur aimant.
   Sans testament !
   Ah, dans ces deuils sans rachats
   Les Encors sont les Dêjàs !
  

V

  
   Tantalized
  
   L'aile où je suis donnant juste sur une gare,
   J'entends de nuit (mes nuits sont blanches) la bagarre
   Des machines qu'on chauffe et des trains ajustês,
   Et vraiment c'est des bruits de nids rêpercutês
   À des cieux de fonte et de verre et gras de houille.
   Vous n'imaginez pas comme cela gazouille
   Et comme l'on dirait des efforts d'oiselets
   Vers des vols tout prochains à des cieux violets
   Encore et que le point du jour êclaire à peine.
   Ô ces wagons qui vont dêvaler dans la plaine !
  

VI

  
   Invraisemblable mais Vrai
  
   Las ! je suis à l'Index et dans les dêdicaces
   Me voici Paul V... pur et simple. Les audaces
   De mes amis, tant les êditeurs sont des saints,
   Doivent êliminer mon nom de leurs desseins,
   Extraordinaire et saponaire tonnerre
   D'une excommunication que je vênère
   Au point d'en faire des fautes de quantitê !
   Vrai, si je n'êtais pas (forcêment) dêsistê
   Des choses, j'aimerais, surtout m'êtant contraire,
   Cette pudeur du moins si rare de libraire.
  

VII

  
   Le Dernier Dizain
  
   Ô Belgique qui m'as valu ce dur loisir,
   Merci ! J'ai pu du moins rêflêchir et saisir
   Dans le silence doux et blanc de tes cellules
   Les raisons qui fuyaient comme des libellules
   À travers les roseaux bavards d'un monde vain,
   Les raisons de mon être êternel et divin,
   Et les êtiqueter comme en un beau musêe
   Dans les cases en fin cristal de ma pensêe.
   Mais, ô Belgique, assez de ce huis-clos têtu !
   Ouvre enfin, car c'est bon pour une fois, sais-tu !
  
   Bruxelles, août 1873. -- Mons, janvier 1875.

Lunes

I

  
  
   Je veux, pour te tuer, ô temps qui me dêvastes,
   Remonter jusqu'aux jours bleuis des amours chastes
   Et bercer ma luxure et ma honte au bruit doux
   De baisers sur Sa main et non plus dans Leurs cous.
   Le Tibère effrayant que je suis à cette heure,
   Quoi que j'en aie, et que je rie ou que je pleure,
   Qu'il dorme ! pour rêver, loin d'un cruel bonheur,
   Aux tendrons pâlots dont on mênageait l'honneur
   Ès-fêtes, dans, après le bal sur la pelouse,
   Le clair de lune quand le clocher sonnait douze.
  

II

  
   À la Manière de Paul Verlaine
  
   C'est à cause du clair de la lune
   Que j'assume ce masque nocturne
   Et de Saturne penchant son urne
   Et de ces lunes l'une après l'une.
  
   Des romances sans paroles ont,
   D'un accord discord ensemble et frais,
   Agacê ce cœur fadasse exprès
   Ô le son, le frisson qu'elles ont !
  
   Il n'est pas que vous n'ayez fait grâce
   À quelqu'un qui vous jetait l'offense :
   Or, moi, je pardonne à mon enfance
   Revenant fardêe et non sans grâce.
  
   Je pardonne à ce mensonge-là
   En faveur en somme du plaisir
   Très banal drôlement qu'un loisir
   Douloureux un peu m'inocula.
  

III

  
   Explication
  
   Je vous dis que ce n'est pas ce que l'on pensa.
   P. V.
  
   Le bonheur de saigner sur le cœur d'un ami,
   Le besoin de pleurer bien longtemps sur son sein,
   Le dêsir de parler à lui, bas à demi,
   Le rêve de rester ensemble sans dessein !
  
   Le malheur d'avoir tant de belle ennemies,
   La satiêtê d'être une machine obscène,
   L'horreur des cris impurs de toutes ces lamies,
   Le cauchemar d'une incessante mise en scène !
  
   Mourir pour sa Patrie ou pour son Dieu, gaîment,
   Ou pour l'autre, en ses bras, et baisant chastement
   La main qui ne trahit, la bouche qui ne ment !
  
   Vivre loin des devoirs et des saintes tourmentes
   Pour les seins clairs et pour les yeux luisants d'amantes,
   Et pour le... reste ! vers telles morts infamantes !
  

IV

  
   Autre Explication
  
   Amour qui ruisselais de flammes et de lait,
   Qu'est devenu ce temps, et comme est-ce qu'elle est,
   La constance sacrêe au chrême des promesses ?
   Elle ressemble une putain dont les prouesses
   Empliraient cent bidets de futurs foetus froids ;
   Et le temps a crû mais pire, tels les effrois
   D'un polype grossi d'heure en heure et qui pète.
   Lâches, nous ! de nous être ainsi lâchês !
   " Arrête !
   Dit quelqu'un de dedans le sein. C'est bien la loi.
   On peut mourir pour telle ou tel, on vit pour soi,
   Même quand on voudrait vivre pour tel ou telle !
   Et puis l'heure sêvère, ombre de la mortelle,
   S'en vient dêjà couvrir les trois quarts du cadran.
   Il faut, dès ce jourd'hui, renier le tyran
   Plaisir, et se complaire aux prudents hymênêes,
   Quittant le souvenir des heures entraînêes
   Et des gens. Et voilà la norme et le flambeau.
   Ce sera bien. "
   L'Amour :
   " Ce ne serait pas beau. "
  

V

  
   Limbes
  
   L'imagination, reine,
   Tient ses ailes êtendues,
   Mais la robe qu'elle traîne
   À des lourdeurs êperdues.
  
   Cependant que la Pensêe,
   Papillon, s'envole et vole,
   Rose et noir clair, êlancêe
   Hors de la tête frivole.
  
   L'Imagination, sise
   En son trône, ce fier siège !
   Assiste, comme indêcise,
   À tout ce preste manège,
  
   Et le papillon fait rage,
   Monte et descend, plane et vire :
   On dirait dans un naufrage
   Des culbutes du navire.
  
   La reine pleure de joie
   Et de peine encore, à cause
   De son cœur qu'un chaud pleur noie,
   Et n'entend goutte à la chose.
  
   Psychê Deux pourtant se lasse.
   Son vol est la main plus lente
   Que cent tours de passe-passe
   Ont faite toute tremblante.
  
   Hêlas, voici l'agonie !
   Qui s'en fût formê l'idêe ?
   Et tandis que, bon gênie
   Plein d'une douceur lactêe,
  
   La bestiole cêleste
   S'en vient palpiter à terre,
   La Folle-du-Logis reste
   Dans sa gloire solitaire !
  

VI

  
   Lombes
  
   Deux femmes des mieux m'ont apparu cette nuit.
   Mon rêve êtait au bal, je vous demande un peu !
   L'une d'entre elles maigre assez, blonde, un œil bleu,
   Un noir et ce regard mêcrêant qui poursuit.
  
   L'autre, brune au regard sournois qui flatte et nuit,
   Seins joyeux d'être vus, dignes d'un demi-dieu !
   Et toutes deux avaient, pour rappeler le jeu
   De la main chaude, sous la traîne qui bruit,
  
   Des bas de dos très beaux et d'une gaîtê folle
   Auxquels il ne manquait vraiment que la parole,
   Royale arrière-garde aux combats du plaisir.
  
   Et ces Dames -- scrutez l'armorial de France --
   S'efforèaient d'entamer l'orgueil de mon dêsir,
   Et n'en revenaient pas de mon indiffêrence.
  
   Vouziers (Ardennes), 13 avril -- 23 mai 1885.

*

  
   La Dernière Fête galante
  
   Pour une bonne fois sêparons-nous,
   Très chers messieurs et si belles mesdames.
   Assez comme cela d'êpithalames,
   Et puis là, nos plaisirs furent trop doux.
  
   Nul remords, nul regret vrai, nul dêsastre !
   C'est effrayant ce que nous nous sentons
   D'affinitês avecque les moutons
   Enrubannês du pire poêtastre.
  
   Nous fûmes trop ridicules un peu
   Avec nos airs de n'y toucher qu'à peine,
   Le Dieu d'amour veut qu'on ait de l'haleine,
   Il a raison ! Et c'est un jeune Dieu.
  
   Sêparons-nous, je vous le dis encore.
   Ô que nos cœurs qui furent trop bêlants,
   Dès ce jourd'hui rêclament, trop hurlants,
   L'embarquement pour Sodome et Gomorrhe !
  
  
   Poème saturnien
  
   Ce fut bizarre et Satan dut rire.
   Ce jour d'êtê m'avait tout soûlê.
   Quelle chanteuse impossible à dire
   Et tout ce qu'elle a dêbagoulê !
  
   Ce piano dans trop de fumêe
   Sous des suspensions à pêtroles !
   Je crois, j'avais la bile enflammêe,
   J'entendais de travers mes paroles.
  
   Je crois, mes sens êtaient à l'envers,
   Ma bile avait des bouillons fantasques.
   Ô les refrains de cafês-concerts,
   Faussês par le plus plâtrê des masques !
  
   Dans des troquets comme en ces bourgades,
   J'avais rôdê, suèant peu de glace.
   Trois galopins aux yeux de tribades
   Dêvisageaient sans fin ma grimace.
  
   Je fus huê manifestement
   Par ces voyous, non loin de la gare,
   Et les engueulai si goulûment
   Que j'en faillis gober mon cigare.
  
   Je rentre : une voix à mon oreille,
   Un pas fantôme. Aucun ou personne ?
   On m'a frôlê. -- La nuit sans pareille !
   Ah ! l'heure d'un rêveil drôle sonne.
  
   Attigny (Ardennes), 31 mai -- 1er juin 1885.
  
   L'Impudent
  
   La misère et le mauvais œil,
   Soit dit sans le calomnier,
   Ont fait à ce monstre d'orgueil
   Une âme de vieux prisonnier.
  
   Oui, jettatore, oui, le dernier
   Et le premier des gueux en deuil
   De l'ombre même d'un denier
   Qu'ils poursuivront jusqu'au cercueil.
  
   Son regard mûrit les enfants.
   Il a des refus triomphants.
   Même il est bête à sa faèon.
  
   Beautês passant, au lieu de sous,
   Faites à ce mauvais garèon
   L'aumône seulement... de vous.
  
  
   L'Impênitent
  
   Rôdeur vannê, ton œil fanê
   Tout plein d'un dêsir satanê
   Mais qui n'est pas l'œil d'un bêlître,
   Quand passe quelqu'un de gentil
   Lance un êclair comme une vitre.
  
   Ton blaire flaire, âpre et subtil,
   Et l'êtamine et le pistil,
   Toute fleur, tout fruit, toute viande,
   Et ta langue d'homme entendu
   Pourlèche ta lèvre friande.
  
   Vieux faune en l'air guettant ton dû,
   As-tu vraiment bandê, tendu
   L'arme assez de tes paillardises ?
   L'as-tu, drôle, braquêe assez ?
   Ce n'est rien que tu nous le dises.
  
   Quoi, malgrê ces reins fricassês,
   Ce cœur êreintê, tu ne sais
   Que dêvouer à la luxure
   Ton cœur, tes reins, ta poche à fiel,
   Ta rate et toute ta fressure !
  
   Sucrês et doux comme le miel,
   Damnants comme le feu du ciel,
   Bleus comme fleur, noirs comme poudre,
   Tu raffoles beaucoup des yeux
   De tout genre en dêpit du Foudre.
  
   Les nez te plaisent, gracieux
   Ou simplement malicieux,
   Étant la force des visages,
   Étant aussi, suivant des gens,
   Des indices et des prêsages.
  
   Longs baisers plus clairs que des chants,
   Tout petits baisers astringents
   Qu'on dirait qui vous sucent l'âme,
   Bons gros baisers d'enfant, lêgers
   Baisers danseurs, telle une flamme,
  
   Baisers mangeurs, baisers mangês,
   Baisers buveurs, bus, enragês,
   Baisers languides et farouches,
   Ce que t'aimes bien, c'est surtout,
   N'est-ce pas ? les belles boubouches.
  
   Les corps enfin sont de ton goût,
   Mieux pourtant couchês que debout,
   Se mouvant sur place qu'en marche,
   Mais de n'importe quel climat,
   Pont-Saint-Esprit ou Pont-de-l'Arche.
  
   Pour que ce goût les acclamât
   Minces, grands, d'aspect plutôt mat,
   Faudrait pourtant du jeune en somme :
   Pieds fins et forts, tout lêgers bras
   Musculeux et les cheveux comme
  
   Ça tombe, longs, bouclês ou ras, --
   Sinon pervers et scêlêrats
   Tout à fait, un peu d'innocence
   En moins, pour toi sauver, du moins,
   Quelque ombre encore de dêcence ?
  
   Nenni dà ! Vous, soyez têmoins,
   Dieux la connaissant dans les coins,
   Que ces manières, de parts telles,
   Sont pour s'amuser mieux au fond
   Sans trop muser aux bagatelles.
  
   C'est ainsi que les choses vont
   Et que les raillards fieffês font.
   Mais tu te ris de ces morales, --
   Tel un quelqu'un plus que pressê
   Passe outre aux dêfenses murales.
  
   Et tu rêponds, un peu lassê
   De te voir ainsi relancê,
   De ta voix que la soif dêgrade
   Mais qui n'est pas d'un marmiteux :
   " Qu'y peux-tu faire, camarade,
  
   Si nous sommes cet amiteux ? "
  
  
   Le Sonnet de l'Homme au Sable
  
   Aussi, la crêature êtait par trop toujours la même,
   Qui donnait ses baisers comme un enfant donne des noix,
   Indiffêrente à tout, hormis au prestige suprême
   De la cire à moustache et de l'empois des faux-cols droits.
  
   Et j'ai ri, car je tiens la solution du problème :
   Ce pouf êtait dans l'air dès le principe, je le vois ;
   Quand la chair et le sang, exaspêrês d'un long carême,
   Rêclamèrent leur dû, -- la crêature êtait en bois.
  
   C'est le conte d'Hoffmann avec de la bêtise en marge.
   Amis qui m'êcoutez, faites votre entendement large,
   Car c'est la vêritê que ma morale, et la voici :
  
   Si, par malheur, -- puisse d'ailleurs l'augure aller au diable ! --
   Quelqu'un de vous devait s'emberlificoter aussi,
   Qu'il rêclame un conseil de rêvision prêalable.
  
  
   Guitare
  
   Le pauvre du chemin creux chante et parle.
   Il dit : " Mon nom est Pierre et non pas Charle,
   Et je m'appelle aussi Duchatelet.
   Une fois je vis, moi qu'on croit très laid,
   Passer vraiment une femme très belle.
   (Si je la voyais telle, elle êtait telle.)
   Nous nous mariâmes au vieux curê.
   On eut tout ce qu'on avait espêrê,
   Jusqu'à l'enfant qu'on m'a dit vivre encore.
   Mais elle devint la pire pêcore
   Indigne même de cette chanson,
   Et certain beau soir quitta la maison
   En emportant tout l'argent du mênage
   Dont les trois quarts êtaient mon apanage.
   C'êtait une voleuse, une sans-cœur,
   Et puis, par des fois, je lui faisais peur.
   Elle n'avait pas l'ombre d'une excuse,
   Pas un amant ou par rage ou par ruse.
   Il paraît qu'elle couche depuis peu
   Avec un individu qui tient lieu
   D'êpoux à cette femme de querelle.
   Faut-il la tuer ou prier pour elle ? "
  
   Et le pauvre sait très bien qu'il priera,
   Mais le diable parierait qu'il tuera.
  
  
   Ballade de la vie en rouge
  
   L'un toujours vit la vie en rose,
   Jeunesse qui n'en finit plus,
   Seconde enfance moins morose,
   Ni vœux, ni regrets superflus.
   Ignorant tout flux et reflux,
   Ce sage pour qui rien ne bouge
   Règne instinctif : tel un phallus.
   Mais moi je vois la vie en rouge.
  
   L'autre ratiocine et glose
   Sur des modes irrêsolus,
   Soupesant, pesant chaque chose
   De mains gourdes aux lourds calus.
   Lui faudrait du temps tant et plus
   Pour se risquer hors de son bouge.
   Le monde est gris à ce reclus.
   Mais moi je vois la vie en rouge.
  
   Lui, cet autre, alentour il ose
   Jeter des regards bien voulus,
   Mais, sur quoi que son œil se pose,
   Il s'exaspère où tu te plus,
   Œil des philanthropes joufflus ;
   Tout lui semble noir, vierge ou gouge,
   Les hommes, vins bus, livres lus.
   Mais moi je vois la vie en rouge.
  
   Envoi
  
   Prince et princesse, allez, êlus,
   En triomphe par la route où je
   Trime d'ornières en talus.
   Mais moi, je vois la vie en rouge.
  
  
   Mains
  
   Ce ne sont pas des mains d'altesse,
   De beau prêlat quelque peu saint,
   Pourtant une dêlicatesse
   Y laisse son galbe succinct.
  
   Ce ne sont pas des mains d'artiste,
   De poète proprement dit,
   Mais quelque chose comme triste
   En fait comme un groupe en petit ;
  
   Car les mains ont leur caractère,
   C'est tout un monde en mouvement
   Où le pouce et l'auriculaire
   Donnent les pôles de l'aimant.
  
   Les mêtêores de la tête
   Comme les tempêtes du cœur,
   Tout s'y rêpète et s'y reflète
   Par un don logique et vainqueur.
  
   Ce ne sont pas non plus les palmes
   D'un rural ou d'un faubourien ;
   Encor leurs grandes lignes calmes
   Disent " Travail qui ne doit rien. "
  
   Elles sont maigres, longues, grises,
   Phalange large, ongle carrê.
   Tels en ont aux vitraux d'êglises
   Les saints sous le rinceau dorê,
  
   Ou tels quelques vieux militaires
   Dêshabituês des combats
   Se rappellent leurs longues guerres
   Qu'ils narrent entre haut et bas.
  
   Ce soir elles ont, ces mains sèches,
   Sous leurs rares poils hêrissês,
   Des airs spêcialement rêches,
   Comme en proie à d'âpres pensers.
  
   Le noir souci qui les agace,
   Leur quasi-songe aigre les font
   Faire une sinistre grimace
   À leur faèon, mains qu'elles sont.
  
   J'ai peur à les voir sur la table
   Prêmêditer là, sous mes yeux,
   Quelque chose de redoutable,
   D'inflexible et de furieux.
  
   La main droite est bien à ma droite,
   L'autre à ma gauche, je suis seul.
   Les linges dans la chambre êtroite
   Prennent des aspects de linceul,
  
   Dehors le vent hurle sans trêve,
   Le soir descend insidieux...
   Ah ! si ce sont des mains de rêve,
   Tant mieux, -- ou tant pis, -- ou tant mieux !
  
  
   Les morts que l'on fait saigner dans leur tombe
   Se vengent toujours.
   Ils ont leur manière, et plaignez qui tombe
   Sous leurs grands coups sourds.
   Mieux vaut n'avoir jamais connu la vie,
   Mieux vaut la mort lente d'autres suivie,
   Tant le temps est long, tant les coups sont lourds.
  
   Les vivants qu'on fait pleurer comme on saigne
   Se vengent parfois.
   Ceux-là qu'ils ont pris, qu'un chacun les plaigne,
   Pris entre leurs doigts.
   Mieux vaut un ours et les jeux de sa patte,
   Mieux vaut cent fois le chanvre et sa cravate,
   Mieux vaut l'êdredon d'Othello cent fois.
  
   Ô toi, persêcuteur, crains le vampire
   Et crains l'êtrangleur :
   Leur jour de colère apparaîtra pire
   Que toute douleur.
   Tiens ton âme prête à ce jour ultime
   Qui surprendra l'assassin comme un crime
   Et fondra sur le vol comme un voleur.
  
  
   Nouvelles variations sur le Point-du-Jour
  
   Le Point du Jour, le point blanc de Paris,
   Le seul point blanc, grâce à tant de bâtisse
   Et neuve et laide et que je t'en ratisse,
   Le Point du Jour, aurore des paris !
  
   Le bonneteau fleurit " dessur " la berge,
   La bonne tôt s'y dêprave, tant pis
   Pour elle et tant mieux pour le birbe gris
   Qui lui du moins la croit encore vierge.
  
   Il a raison le vieux, car voyez donc
   Comme est joli toujours le paysage :
   Paris au loin, triste et gai, fol et sage,
   Et le Trocadêro, ce cas, au fond,
  
   Puis la verdure et le ciel et les types
   Et la rivière obscène et molle, avec
   Des gens trop beaux, leur cigare à leur bec :
   Épatants ces metteurs-au-vent de tripes !
  
  
   Pierrot Gamin
  
   Ce n'est pas Pierrot en herbe
   Non plus que Pierrot en gerbe,
   C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot.
   Pierrot gamin, Pierrot gosse,
   Le cerneau hors de la cosse,
   C'est Pierrot, Pierrot, Pierrot !
  
   Bien qu'un rien plus haut qu'un mètre,
   Le mignon drôle sait mettre
   Dans ses yeux l'êclair d'acier
   Qui sied au subtil gênie
   De sa malice infinie
   De poète-grimacier.
  
   Lèvres rouge-de-blessure
   Où sommeille la luxure,
   Face pâle aux rictus fins,
   Longue, très accentuêe,
   Qu'on dirait habituêe
   À contempler toutes fins,
  
   Corps fluet et non pas maigre,
   Voix de fille et non pas aigre,
   Corps d'êphèbe en tout petit,
   Voix de tête, corps en fête,
   Crêature toujours prête
   À soûler chaque appêtit.
  
   Va, frère, va, camarade,
   Fais le diable, bats l'estrade
   Dans ton rêve et sur Paris
   Et par le monde, et sois l'âme
   Vile, haute, noble, infâme
   De nos innocents esprits !
  
   Grandis, car c'est la coutume,
   Cube ta riche amertume,
   Exagère ta gaietê,
   Caricature, aurêole,
   La grimace et le symbole
   De notre simplicitê !
  
  
   Ces passions qu'eux seuls nomment encore amours
   Sont des amours aussi, tendres et furieuses,
   Avec des particularitês curieuses
   Que n'ont pas les amours certes de tous les jours.
  
   Même plus qu'elles et mieux qu'elles hêroïques,
   Elles se parent de splendeurs d'âme et de sang
   Telles qu'au prix d'elles les amours dans le rang
   Ne sont que Ris et Jeux ou besoins êrotiques,
  
   Que vains proverbes, que riens d'enfants trop gâtês,
   -- " Ah ! les pauvres amours banales, animales,
   Normales ! Gros goûts lourds ou frugales fringales,
   Sans compter la sottise et des fêconditês ! "
  
   -- Peuvent dire ceux-là que sacre le haut Rite,
   Ayant conquis la plênitude du plaisir,
   Et l'insatiabilitê de leur dêsir
   Bênissant la fidêlitê de leur mêrite.
  
   La plênitude ! Ils l'ont superlativement :
   Baisers repus, gorgês, mains privilêgiêes
   Dans la richesse des caresses repayêes,
   Et ce divin final anêantissement !
  
   Comme ce sont les forts et les forts, l'habitude
   De la force les rend invaincus au dêduit.
   Plantureux, savoureux, dêbordant, le dêduit !
   Je le crois bien qu'ils ont la pleine plênitude !
  
   Et pour combler leurs vœux, chacun d'eux tour à tour
   Fait l'action suprême, a la parfaite extase,
   -- Tantôt la coupe ou la bouche et tantôt le vase --
   Pâmê comme la nuit, fervent comme le jour.
  
   Leurs beaux êbats sont grands et gais. Pas de ces crises :
   Vapeurs, nerfs. Non, des jeux courageux, puis d'heureux
   Bras las autour du cou, pour de moins langoureux
   Qu'êtroits sommeils à deux, tout coupês de reprises.
  
   Dormez, les amoureux ! Tandis qu'autour de vous
   Le monde inattentif aux choses dêlicates,
   Bruit ou gît en somnolences scêlêrates,
   Sans même, il est si bête ! être de vous jaloux.
  
   Et ces rêveils francs, clairs, riants, vers l'aventure
   De fiers damnês d'un plus magnifique sabbat ?
   Et salut, têmoins purs de l'âme en ce combat
   Pour l'affranchissement de la lourde nature !
  
  
   Læti et Errabundi
  
   Les courses furent intrêpides
   (Comme aujourd'hui le repos pèse !)
   Par les steamers et les rapides.
   (Que me veut cet at home obèse ?)
  
   Nous allions, -- vous en souvient-il,
   Voyageur où èa disparu ? --
   Filant lêgers dans l'air subtil,
   Deux spectres joyeux, on eût cru !
  
   Car les passions satisfaites
   Insolemment outre mesure
   Mettaient dans nos têtes des fêtes
   Et dans nos sens, que tout rassure,
  
   Tout, la jeunesse, l'amitiê,
   Et nos cœurs, ah ! que dêgagês
   Des femmes prises en pitiê
   Et du dernier des prêjugês,
  
   Laissant la crainte de l'orgie
   Et le scrupule au bon ermite,
   Puisque quand la borne est franchie
   Ponsard ne veut plus de limite.
  
   Entre autres blâmables excès
   Je crois que nous bûmes de tout,
   Depuis les plus grands vins franèais
   Jusqu'à ce faro, jusqu'au stout,
  
   En passant par les eaux-de-vie
   Qu'on cite comme redoutables,
   L'âme au septième ciel ravie,
   Le corps, plus humble, sous les tables.
  
   Des paysages, des citês
   Posaient pour nos yeux jamais las ;
   Nos belles curiositês
   Eussent mangê tous les atlas.
  
   Fleuves et monts, bronzes et marbres,
   Les couchants d'or, l'aube magique,
   L'Angleterre, mère des arbres,
   Fille des beffrois, la Belgique,
  
   La mer, terrible et douce au point, --
   Brochaient sur le roman très cher
   Que ne discontinuait point
   Notre âme, -- et quid de notre chair ?... --
  
   Le roman de vivre à deux hommes
   Mieux que non pas d'êpoux modèles,
   Chacun au tas versant des sommes
   De sentiments forts et fidèles.
  
   L'envie aux yeux de basilic
   Censurait ce mode d'êcot :
   Nous dînions du blâme public
   Et soupions du même fricot.
  
   La misère aussi faisait rage
   Par des fois dans le phalanstère :
   On ripostait par le courage,
   La joie et les pommes de terre.
  
   Scandaleux sans savoir pourquoi,
   (Peut-être que c'êtait trop beau)
   Mais notre couple restait coi
   Comme deux bons porte-drapeau,
  
   Coi dans l'orgueil d'être plus libres
   Que les plus libres de ce monde,
   Sourd aux gros mots de tous calibres,
   Inaccessible au rire immonde.
  
   Nous avions laissê sans êmoi
   Tous impêdiments dans Paris,
   Lui quelques sots bernês, et moi
   Certaine princesse Souris,
  
   Une sotte qui tourna pire...
   Puis soudain tomba notre gloire,
   Tels, nous, des marêchaux d'empire
   Dêchus en brigands de la Loire,
  
   Mais dêchus volontairement !
   C'êtait une permission,
   Pour parler militairement,
   Que notre sêparation,
  
   Permission sous nos semelles,
   Et depuis combien de campagnes !
   Pardonnâtes-vous aux femelles ?
   Moi j'ai peu revu ces compagnes,
  
   Assez toutefois pour souffrir.
   Ah, quel c?ur faible que mon c?ur !
   Mais mieux vaut souffrir que mourir
   Et surtout mourir de langueur.
  
   On vous dit mort, vous. Que le Diable
   Emporte avec qui la colporte
   La nouvelle irrêmêdiable
   Qui vient ainsi battre ma porte !
  
   Je n'y veux rien croire. Mort, vous,
   Toi, dieu parmi les demi-dieux !
   Ceux qui le disent sont des fous.
   Mort, mon grand pêchê radieux,
  
   Tout ce passê brûlant encore
   Dans mes veines et ma cervelle
   Et qui rayonne et qui fulgore
   Sur ma ferveur toujours nouvelle !
  
   Mort tout ce triomphe inouï
   Retentissant sans frein ni fin
   Sur l'air jamais êvanoui
   Que bat mon c?ur qui fut divin !
  
   Quoi, le miraculeux poème
   Et la toute-philosophie,
   Et ma patrie et ma bohème
   Morts ? Allons donc ! tu vis ma vie !
  
  
   Ballade de la Mauvaise Rêputation
  
   Il eut des temps quelques argents
   Et rêgla ses camarades
   D'un sexe ou deux, intelligents
   Ou charmants, ou bien les deux grades,
   Si que dans les esprits malades
   Sa bonne rêputation
   Subit que de dêgringolades !
   Lucullus ? Non. Trimalcion.
  
   Sous ses lambris, c'êtaient des chants
   Et des paroles point trop fades.
   Éros et Bacchos indulgents
   Prêsidaient à ces sêrênades
   Qu'accompagnaient des embrassades.
   Puis ch?urs et conversation
   Cessaient pour des fins peu maussades.
   Lucullus ? Non. Trimalcion.
  
   L'aube pointait et ces mêchants
   La saluaient par cent aubades
   Qui rêveillaient au loin les gens
   De bien, et par mille rasades.
   Cependant de vagues brigades
   -- Zèle ou dênonciation ? --
   Verbalisaient chez des alcades.
   Lucullus ? Non. Trimalcion.
  
   Envoi
  
   Prince, ô très haut marquis de Sade,
   Un souris pour votre scion
   Fier derrière sa palissade.
   Lucullus ? Non. Trimalcion.
  
  
   Caprice
  
   Ô poète, faux pauvre et faux riche, homme vrai,
   Jusqu'en l'extêrieur riche et pauvre pas vrai,
   (Dès lors, comment veux-tu qu'on soit sûr de ton c?ur ?)
   Tour à tour souple drôle et monsieur somptueux,
   Du vert clair plein d' " espère " au noir componctueux,
   Ton habit a toujours quelque dêtail blagueur.
  
   Un bouton manque. Un fil dêpasse. D'où venue
   Cette tache -- ah èa, malvenue ou bienvenue ? --
   Qui rit et pleure sur le cheviot et la toile ?
   N?ud nouê bien et mal, soulier luisant et terne.
   Bref, un type à se pendre à la Vieille Lanterne
   Comme à marcher, gai proverbe, à la belle êtoile,
  
   Gueux, mais pas comme èa, l'homme vrai, le seul vrai,
   Poète, va, si ton langage n'est pas vrai,
   Toi l'es, et ton langage, alors ! Tant pis pour ceux
   Qui n'auront pas aimê, fous comme autant de tois,
   La lune pour chauffer les sans femmes ni toits,
   La mort, ah, pour bercer les c?urs malechanceux,
  
   Pauvres c?urs mal tombês, trop bons et très fiers, certes !
   Car l'ironie êclate aux lèvres belles, certes,
   De vos blessures, c?urs plus blessês qu'une cible,
   Petits sacrês-c?urs de Jêsus plus lamentables !
   Va, poète, le seul des hommes vêritables,
   Meurs sauvê, meurs de faim pourtant le moins possible.
  
  
   Ballade Sappho
  
   Ma douce main de maîtresse et d'amant
   Passe et rit sur ta chère chair en fête,
   Rit et jouit de ton jouissement.
   Pour la servir tu sais bien qu'elle est faite,
   Et ton beau corps faut que je le dêvête
   Pour l'enivrer sans fin d'un art nouveau
   Toujours dans la caresse toujours prête.
   Je suis pareil à la grande Sappho.
  
   Laisse ma tête errant et s'abîmant
   À l'aventure, un peu farouche, en quête
   D'ombre et d'odeur et d'un travail charmant
   Vers les saveurs de ta gloire secrète.
   Laisse rôder l'âme de ton poète
   Partout par là, champ ou bois, mont ou vau,
   Comme tu veux et si je le souhaite.
   Je suis pareil à la grande Sappho.
  
   Je presse alors tout ton corps goulûment,
   Toute ta chair contre mon corps d'athlète
   Qui se bande et s'amollit par moment,
   Heureux du triomphe et de la dêfaite
   En ce conflit du c?ur et de la tête.
   Pour la stêrile êtreinte où le cerveau
   Vient faire enfin la nature complète
   Je suis pareil à la grande Sappho.
  
   Envoi
  
   Prince ou princesse, honnête ou malhonnête,
   Qui qu'en grogne et quel que soit son niveau,
   Trop su poète ou divin proxênète,
   Je suis pareil à la grande Sappho.
  
  

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